Mémoire de 7e dan de Patrick, Christian, Pierre Rault

Mémoire de 7e dan de Patrick Rault

Directeur de mémoire : Monsieur Zenei Oshiro Membre de la commission spécialisée des dans et grades équivalents de la fédération française de karaté et disciplines associés F.F.K.D.A

Session du 21 Septembre 2012

SOMMAIRE

Partie I

INTRODUCTION

I. Mon chemin en karaté.

1. Mes débuts en karaté

2. Mon chemin de Karatéka à partir de 1985 Okinawa… a.

Visiteur et vivre sur place, c’est différent.

b. Maître Shimpo Matayoshi Kobudo

c. Deux expressions qui m’ont influencé toute ma vie.

d. La rencontre avec Maître Yoshio Nakamura 10e Dan

3. Les cours de Karaté

a. Le déroulement des cours

b. Apprendre en observant et en ressentant

4. L’université des arts martiaux

5. Le premier français qui enseigne le Karaté au Japon

6. Mon maître actuel Minoru Higa 10e Dan

II. La calligraphie

1. La calligraphie avec Maître Tsuji Tamizo

2. L’objectif caché des calligraphies

3. Etude de calligraphies

a. Bunbu no mitchi

b. Bu

c. Mitchi ou Dô

d. Rei

e. Katsu Jin Ken/ Satsu Jin Ken

f. Hoho kore dojo / Itchi go itchi é

g. Shu.Ha.Ri

h. Onoré ni katsu

i. Shugyo

j. Shin Gi Taï

CONCLUSION

Partie II

Présentation de la prestation technique Passage de grade du 7e dan du Vendredi 21 Septembre 2012 à 13h 30

Candidat : Patrick RAULT

Partenaire (UKE) : Philippe LEPAON 4e dan

Style : Okinawa Shorin ryu Kyudokan

Thème choisi : Kata et Bunkaï

Kata sélectionné : Neihanshi Shodan

Organisation de la prestation 1er Temps : Exécution à vitesse normale du kata Neihanshi shodan

2nd Temps : Proposition de quelques bunkaï

INTRODUCTION

Ce mémoire a une double vocation. Celle, d’une part, de vous présenter une partie de mon parcours de pratiquant, en espérant qu’il durera encore longtemps. Celle, d’autre part, de vous faire partager les réflexions engendrées par ce parcours……

Bunbu Ryodo est une approche traditionnelle japonaise pour la formation d’arts martiaux. La traduction occidentale serait: « La voie de la culture et la voie martiale ». Bunbu Ryodo tente donc d’harmoniser la formation physique d’arts martiaux avec la culture japonaise. Ainsi, de nombreux maîtres d’arts martiaux entre le 16e et le 20e siècle pratiquaient au moins un art « doux ». Ils étaient peintres, sculpteurs, philosophes, poètes, ou bien étudiaient les classiques de la littérature de leur époque. Le plus souvent, ils étaient maîtres de la cérémonie du thé japonaise, le Cha No Yu, de l’arrangement floral, l’Ikebana, ou d’un instrument de musique comme le Shakuhachi (flûte de bambou). Beaucoup cultivaient les bonsaïs. Mais la calligraphie restait « l’art doux » majeur dans le sens où il était l’art le plus pratiqué.

Je vais tenter, à travers ce mémoire, de démontrer l’importance de l’apport d’éléments culturels pour équilibrer une pratique martiale. Il me semble en effet que la pratique ne peut se dispenser de la connaissance, même partielle, de la culture japonaise. Cette connaissance permet de comprendre et d’améliorer la pratique elle-même, à travers des expressions verbales et artistiques traditionnelles.

Parmi ces expressions artistiques traditionnelles, j’ai retenu, dans le cadre de ce mémoire, la calligraphie.

Je vais, dans une première partie, présenter mon cheminement de karatéka, qui commence dans les années 70 à Versailles et dont font ensuite partie mes 15 années de vie au Japon. Je parlerai des rencontres avec des maîtres, des lieux, des mots. Dans une deuxième partie, je développerai ma rencontre avec la calligraphie et la signification de cet art pour le pratiquant. Enfin, en troisième partie, j’exposerai et analyserai certaines calligraphies me semblant d’importance majeure pour celui qui s’engage dans la voie martiale.

I. MON CHEMIN EN KARATE

1. Mes débuts en karaté

C’est à Versailles, en 1975, que je débute le karaté. J’ai 15 ans et mon professeur, Guy Juille, est du style Shito ryu. Je me passionne immédiatement pour cet art, m’entraînant le plus possible lors des cours auxquels je suis très assidu. De plus, je participe aux stages de tous les maitres du Style, Satoru Nino, Teruo Hayashi, Hidetoshi Nakahashi …

J’atteins un niveau qui me permet de participer à de nombreux championnats de Karaté. Quelque temps après une compétition, j’assiste à une journée culturelle japonaise organisée par la mairie de Versailles. C’est alors que je commence à m’interroger sur le karaté lui-même, au-delà de son aspect « sportif ». Je me questionne sur ses origines, son lien avec la culture japonaise…L’idée de partir au Japon prend place …

Lors d’un stage organisé par mon premier professeur, je rencontre un maître de karaté d’Okinawa. Cette découverte du karaté traditionnel d’Okinawa Shorin Ryu est déterminante dans mon parcours de pratiquant. Nous sommes en 1981 et quatre ans plus tard, je pars pour un an à Okinawa afin d’étudier le Karaté et le Kobudo. En réalité, je ne supposais pas que j’y resterai 15 ans.

C’est ce que je vais exposer à présent.

2. Mon chemin de Karatéka à partir de 1985, Okinawa …

a. Visiteur et vivre sur place n’est pas la même chose.

Je voudrais préciser dans ce paragraphe la différence qui existe entre venir peu de temps à Okinawa, pour s’entraîner ou découvrir la culture japonaise, et y vivre et travailler.

Lorsqu’un individu vient par exemple passer un mois à Okinawa, il est un peu le « centre du dojo », tout le monde est aimable avec lui. Ceci car il est l’étranger de passage.

Mais lorsque l’on est sur place pour longtemps, rien n’est facile, on doit réellement s’adapter à la culture. Même en faisant des efforts je me suis senti un “gaijin”, un étranger. Peut-être la raison en est-elle qu’il y a beaucoup de GI (Militaire américain) sur l’île d’Okinawa. Et ils ne sont pas forcément appréciés. De plus, à l’époque où j’y étais, la population japonaise ne faisait pas trop la « différence » entre un Français et un Américain. Pour anecdote, je me souviens que, lors d’une démonstration, un de mes « sempai » insistait en disant au public que j’étais Français, de Paris, et que je ne pouvais même pas parler anglais ( ce qui était faux ). Il voulait qu’on m’apprécie !

b. Maitre Shimpo Matayoshi, Maître de Kobudo

C’est grâce à Maître Kenyu Chinen qui me remet une lettre d’introduction que je rencontre maître Matayoshi. C’est mon sempaï, (celui qui est au-dessus de soi), de Kobudo Maître Zenei Oshiro qui m’accompagne sur le marché dont Maître Matayoshi est propriétaire afin que je le rencontre. Maître Matayoshi me reçoit gentiment, avec le sourire, me donnant même une pierre afin de me renforcer les mains. Il m’accueille ensuite dans son dojo et j’y ai vécu comme utchi deshi, (le disciple à la maison), pendant presque un an. La première fois que j’ai pénétré dans le dojo, j’ai eu l’impression de rentrer dans un lieu rempli d’histoire comme un musée. Ce sentiment est certainement né du fait que, partout, sur les murs, des armes étaient fixées. Mais j’ai aussi ressenti un lieu de travail intense. Un mélange de chaleur et d’austérité en même temps.

c. Deux expressions qui influencent encore ma vie.

Deux expressions m’ont énormément touché à Okinawa. Je les ai apprises quelques semaines après mon arrivée à Naha. Elles ont beaucoup influencé ma vie, ma pratique. La première est « Itchaliba chode ». Sa traduction littérale serait : « à partir du moment où l’on se rencontre on est frères »! Cela m’a soulagé l’esprit des doutes qui s’instaurent lors d’une première rencontre avec un individu. La deuxième, « Shimugurusan », se traduit par : « ressentir la douleur de l’autre ». Cette dernière expression met en avant l’importance de l’empathie. Dans un art de combat, ressentir l’autre est une aide précieuse, d’une part, pour ne pas perdre, d’autre part pour anticiper. En allant plus loin, au-delà de la douleur de l’autre, c’est ressentir une atmosphère, des vibrations propres au lieu où l’on se trouve.

d. La rencontre avec Maître Yoshio Nakamura 10e Dan

J’ai rencontré Maître Nakamura, grand maître Shorin ryu Enbukan par l’introduction de Maître Matayoshi. Maître Nakamura m’a semblé chaleureux et sévère en même temps. Un mélange de bienveillance et d’austérité me laissant entrevoir un entrainement sans complaisance. Le dojo, très petit, entièrement fait de bois, constituait le rez-de-chaussée de sa très vieille maison. Sur l’un des murs, quelques calligraphies rappelaient aux visiteurs et pratiquants que le karaté développe autre chose que le corps physique. Pour n’en citer qu’une : « KATSU JIN KEN » qui signifie que la pratique du karaté permet de renforcer la vitalité. Si la vitalité est renforcée, l’individu n’est pas détruit. Donc, par extension, cette calligraphie suggère la non-violence. C’est donc aussi par le Karaté que l’on développe la santé, l’harmonie avec les autres. « Kenko dai Itchi » : La santé avant tout » !

3. Les cours de Karaté

a. Le déroulement des cours

Les cours étaient très répétitifs. Du début du cours, c’est-à-dire de l’échauffement, jusqu’à la fin du cours, à savoir les exercices de retour au calme, tout était identique, à chaque cours. Le même échauffement, le même Kyon , les mêmes Kata puis une partie musculation avec les Chishi, Makiwara et autres instruments ayant pour vocation d’endurcir le corps , les mains … L’échauffement était déjà très dur et possédait des exercices de musculation qui auraient beaucoup rebuté la plupart des pratiquants. Le dojo était tout petit et nous n’étions pas plus de cinq élèves à chaque cours, d’ailleurs tous hauts gradés par rapport à moi. J’ai appris tous les kata de l’école en quelques mois. Nous les répétions une fois minimum à chaque cours. Mais avant d’en apprendre la profondeur, par la connaissance des bunkai, cela a pris 7 mois. J’ai d’ailleurs été étonné du nombre et de la diversité des bunkai enseignés par maître Nakamura. J’avais oublié le combat, j’étais concentré sur un karaté basé sur la découverte des bunkai et surtout l’attitude dans le dojo. Le dojo me semblait être un lieu sacré et effectivement je découvrais un jour une expression qui confirmait mon sentiment : “Dojo wa shinsei na basho de ari », « le dojo est un lieu sacré ». Dans le dojo de maître Nakamura, pas une parole n’était proférée. L’atmosphère était très austère et, pendant les cours, personne n’aurait osé poser une question ou manquer d’attention. La concentration se devait d’être certaine, au risque de voir le maître en colère et remonter dans ses appartements situés au-dessus du dojo, ce qui signifiait bien évidemment la fin du cours pour tous. Avec maître Nakamura on avait toujours l’impression de ne pas être dans le bon chemin et son regard me poussait à une introspection permanente.

b. Apprendre en observant et en ressentant

J’ai compris aussi qu’il y a plus à apprendre en observant et en ressentant que par les paroles. Il est clair que poser une question semblait vraiment mal approprié et que les seuls qui pouvaient se le permettre étaient les journalistes qui eux n’avaient la chance de pouvoir comprendre puisqu’ils n’étaient pas pratiquants. Il faut savoir qu’en japonais, l’étymologie des mots « questionner » et « douter » est la même. Ainsi, on peut donc imaginer que questionner son maître reviendrait à douter de lui, ce qui n’aurait pas été bienvenu. Il y a une phrase au Japon qui dit “ Shin wa banji no moto nasu”, c’est-à-dire : « Dans l’univers, tout commence par la croyance ». Même si, comme me le disait mon maître de calligraphie Tsuji Tamizo, il faut néanmoins tout vérifier par la suite, sinon nous prenons le risque de faire de nombreuses erreurs ou d’être « idiot ». Au Japon, le système d’apprentissage des arts traditionnels exprime bien tout cela. « SHU HA RI » est le procédé qui permet de franchir les étapes en intégrant, en assimilant bien le contenu de chaque niveau. SHU, c’est protéger l’enseignement et à ce moment de la pratique on ne pose pas de questions, on applique les techniques, les principes. C’est le moment de la croyance et de l’application totale. Puis, quelques années après, on passe par HA qui signifie « casser », dans le sens d’analyser. Il est temps alors d’analyser ce contenu appris. Vient ensuite RI qui signifie la séparation. A cette étape, vient le moment où l’on trouve sa voie mais cela ne signifie pas que l’on va se séparer de son école ou de son maître car il y a toujours quelque chose à apprendre de ce dernier, lui même étant maître pratique. Ses élèves bénéficient de sa progression.

4. L’université des arts martiaux

Je suis allé dix ans aux stages de l’université des arts martiaux qui a lieu chaque année en Mars à Katsuura dans la préfecture de Chiba. J’en garde une impression extraordinaire. En effet, nous sommes environ 120 étrangers qui nous retrouvons pour apprendre la culture, l’histoire des budo, ses aspects scientifiques et en profiter pour découvrir d’autres budo. J’ai donc essayé le Sumo, Le Kyudo, le Kendo. J’ai remarqué que, même si les techniques de pratiques sont différentes, la voie est semblable pour s’élever en tant qu’individu. D’autant plus que je redevenais débutant à chaque fois. Cela m’a conforté dans l’idée de garder toute sa vie un cœur de débutant. Comme on le dit en japonais, « Shoshin wasureru be karazu », « Ne pas oublier le sentiment du début ». En essayant plusieurs disciplines, j’ai ressenti l’importance de se spécialiser dans l’une d’entre elles. Mais surtout, chaque année je faisais du Judo avec un professeur, Maître Kashiwazaki, ancien champion du monde de Judo, Sambo et spécialiste des Newaza. Je peux dire aujourd’hui que c’est grâce à lui si je suis devenu passionné par le travail au sol. Il m’a appris sa phrase favorite, « MUGA MUCHU », c’est-à-dire travailler si dur que l’on en oublie sa propre douleur.

5. Le premier français qui enseigne le Karaté au Japon

En 1991, je m’installe dans le Nord de Tokyo et quelques temps après je commence à enseigner dans un parc tous les samedis matins. Très rapidement, on me propose un lieu public pour enseigner à un groupe d’enfants. Petit à petit, le groupe devient plus large et des adultes commencent à venir. Ainsi, je suis le premier Européen à venir étudier le Karaté et Kobudo à Okinawa pour une longue période et le premier Français à enseigner le Karaté au Japon. Ceci a duré dix ans, avec près de 100 élèves. En 2003, je retourne en Europe, à Londres exactement, où j’ai enseigné pendant presque 5 ans.

6. Mon maître actuel Minoru Higa 10e Dan C’est en l’an 2000 que je rencontre maître Minoru Higa, Je suis allé sonner à sa porte, il m’a accueilli avec gentillesse et simplicité, je lui ai demandé de m’accepter comme élève. Les kata de l’école Kyudokan étant proches de ceux du Enbukan le changement de dojo s’est fait sans difficulté. Ce que je sous-entends, c’est que les deux dojo ont presque la même source. Il est donc plus facile de changer de dojo que de passer d’un style à un autre. J’ai découvert en maître Minoru Higa un homme d’un grand calme. Il dirige ses cours par l’exemple et il continue encore, à plus de 70 ans, à faire entre mille et deux mille tsuki à chaque cours avec le groupe d’élèves. Je ne l’ai jamais vu sur le côté, à compter uniquement. Il est un exemple que l’on veut suivre. Je ne l’ai jamais vu en colère, il parle peu mais lorsqu’il dit quelque chose cela possède un poids énorme. Cela me fit penser à une autre expression :

« fugen jikko », une action parle plus que mille mots. Maître Minoru Higa insiste sur les bases… Un jour il m’a dit “ Tous les gens sont mes maîtres, j’apprends de tous”. Je ne peux imaginer qu’une pensée, une attitude de modestie par ces mots. Ainsi, pour moi, celui qui pratique le Karaté do et n’est pas modeste n’est pas un Karatéka, celui qui ne pratique plus ne peut être appelé Karatéka non plus. En rencontrant maître Minoru Higa, j’ai vraiment réalisé l’importance de bien choisir son professeur car on sera forcement influencé à tous les niveaux.

II. LA CALLIGRAPHIE

C’est en discutant avec le père d’un de mes élèves que j’ai été poussé à chercher plus loin dans la culture japonaise. A la fin d’un cours, cet homme m’a dit : “ Sensei je dois vous dire que vous êtes très bon en Karaté mais vous enseignez à des élèves japonais qui risquent de connaître la culture japonaise plus que vous. Vous devrez répondre à des problèmes et sans une connaissance profonde de notre culture comment allez vous faire ? » Il me donna des sueurs froides ! Il me fit réaliser mon manque de culture.

1. La calligraphie avec Maître Tsuji Tamizo

Quelques temps après j’ai été présenté à maître Tsuji Tamizo. Cet ancien instructeur des fameux pilotes Kamikaze détestait la guerre mais comme il me le dit par la suite : “on n’avait pas le choix !” Je n’ai pas mis longtemps à comprendre que cet homme était hors du commun. Dès le premier cours, il me fit écrire le kanji « WA », qui signifie harmonie, paix. Ce n’était pas innocent et de là mon Karaté, mon attitude allait être de plus en plus influencés par ce maître de sagesse ! Je me sentais imprégné par les mots que j’écrivais. Par exemple, lorsque j’écrivais harmonie WA je rentrais dans un état d’harmonie, de paix. Grâce à la calligraphie j’ai pu ressentir d’immenses émotions intérieures. J’ai découvert l’importance du vide dans cet art. En effet, on y donne une présence au vide, à l’invisible. Mon maître de Karaté m’avait également dit que le Karaté se trouvait dans la partie que l’on ne voit pas des kata, dans l’invisible. La calligraphie, avec le temps, enseigne le juste équilibre entre la tension et le relâchement. J’ai trouvé là un point commun aux explications de mon maître de Karaté qui disait qu’un Kata devait être fait avec “Mouchimi”, un mot Okinawaien qui signifie justement l’équilibre entre les mouvements de tensions et de relâchement et en harmonie pour les lier entre eux, ce qui caractérise les kata du Karaté d’Okinawa.

2. L’objectif caché des calligraphies

Les calligraphies ne sont pas enseignées dans les dojos pour le japonais qui vient pratiquer le Karaté. Elles sont simplement posées au mur et certains pratiquants n’y prêtent pas attention. Je pense pourtant que malgré cela, elles rentrent inconsciemment dans l’esprit de celui qui les voit et qu’elles sont présentes pour influencer les gens. Un peu comme une œuvre d’art, qui serait chez vous, que vous oubliez, mais qui va dessiner dans votre esprit chaque jour un goût pour la beauté. La calligraphie est très esthétique et elle a une signification très profonde. On y gagne à tous les niveaux ! Mon impression est que l’on ne veut surtout pas forcer les élèves à comprendre le sens profond des calligraphies dans les dojos d’arts martiaux, mais que par les nombreux entraînements, le sens profond des calligraphies se grave naturellement dans l’esprit et ses actions. La calligraphie Japonaise est à la fois une expression de beauté qui provoque une certaine jouissance esthétique mais aussi possède une signification de sagesse millénaire. Les kanji utilisés possèdent une charge énergétique remplie de positivité, de bonheur qui influencera votre vie. Le Shodo, l’art de la calligraphie, est une voie parallèle aux Budo qui mène vers la compréhension du sens de la vie et des vérités éternelles. De nombreux maîtres ont pratiqué la calligraphie comme support dans la voie. D’ailleurs, Miyamoto Musashi pratiquait le Shodo.

3. Etude de calligraphies

Les calligraphies présentées font partie de celles que j’utilise le plus fréquemment comme outils pédagogiques.

a. Bunbu no mitchi

« Bunbu no mitchi ».

Cette calligraphie figure dans le hall du Budokan de Naha. C’est dans ce lieu qu’ont lieu les championnats du monde du karaté d’Okinawa. On peut donc comprendre qu’une telle mise en évidence de cette calligraphie laisse espérer qu’elle « touchera » tous ceux qui pénètreront dans cet endroit. Et, comme je le disais précédemment, même si les visiteurs ne la regardent pas avec attention, peut-être seront-ils influencés sans même s’en rendre compte.

b. Bu

Cette calligraphie, le Bu du mot Budo, signifie l’arrêt de la violence. Je l’ai utilisée comme outil d’enseignement lors du stage que j’ai dirigé en Israël en 2011. J’avais pour élèves des enfants juifs orthodoxes et des arabes bédouins dans le désert. Ces stages avaient pour but de montrer que le karaté est un art de la paix et visaient l’harmonie entre ces peuples.

Je rappelle d’ailleurs que le Budo signifie l’art du combat pour ne pas combattre. L’interprétation étymologique de ce caractère est un sujet de polémiques. En ce qui me concerne, j’en retiens deux, l’une qui signifie l’arrêt du combat et une autre qui signifie qu’il faut du courage pour aller au combat. J’enseigne généralement la première.

Calligraphies offertes lors de mes stages pour la paix, en Israël 2011.

Kokoro ou Shin

Wa = harmonie, par extension Paix Eiwa

La main fermée dans la main ouverte signifie que le poing que l’on entraîne tous les jours ne devra jamais être utilisé pour la violence.

c. Mitchi ou Dô

Pour bien comprendre “dô”, qui se lit également “michi”, il faut garder à l’esprit trois éléments indissociables. Le premier nous est donné par l’étude de la graphie de ce caractère. Celui-ci est composé de deux parties. L’une, la partie supérieure, est un caractère en elle-même qui se lit “shu” ou “kubi”. Aujourd’hui, cela signifie “le cou” mais, autrefois, il avait pour sens “la tête” ou “le chef” shuryo , “celui qui dirige”. La seconde, constituée du reste du caractère est ce que l’on appelle une “clé” et celle-ci a le sens de cheminement, de déplacement. Ainsi, il s’agit de se déplacer dans la direction vers laquelle on est tourné, dans laquelle on regarde ou vers celle que l’on nous indique. Pour le deuxième élément, il faut s’intéresser à l’histoire de l’utilisation de ce caractère au Japon. À l’époque des codes (VIIe~XIIe siècle), “dô” ou “michi” désigne d’abord des axes de circulations vers des provinces lointaines. Il ne s’agit pas du chemin concret qui relie un point à un autre mais le fait de pouvoir s’avancer vers et à l’intérieur d’une aire géographique délimitée par cette route et qu’on ne découvre qu’au fur et à mesure de sa progression. Très vite, par extension, ce terme désigne la zone géographique en elle-même puis, par abstraction, un domaine particulier des activités humaines, une spécialité comme les lettres ou le calcul. L’évolution sémantique se poursuivant, “dô” et “michi” en viennent à désigner la méthode qui permet d’accéder à cette compétence particulière mais aussi le principe qui sous-tend celle-ci. Ainsi, ce qu’il faut en retenir, c’est que la voie (Mitchi ) est partout où les gens se disciplinent par la formation. La voie n’est pas trouvée dans les livres. C’est par l’expérience directe avec notre propre corps et non pas seulement notre intelligence, que nous pouvons atteindre cet état.

d. Rei

Le Reigi-saho est défini comme étant le comportement exprimant la politesse et la courtoisie, au Dojo comme dans n’importe quelle activité de la vie quotidienne. Il s’agit d’une attitude empreinte de respect envers autrui, et prescrite dans les arts martiaux traditionnels japonais, par des dispositions immuables, par une étiquette. Le Karaté-do étant un art martial Japonais, son enseignement est donc influencé par ces règles de politesse. La pratique de ces règles permettra de découvrir les sources profondes d’harmonie avec autrui. Les règles de politesse doivent être renforcées dans le dojo. Ainsi, afficher cette calligraphie permet de rappeler ce principe. En effet, à chaque début du cours on salue le lieu sacré qu’est le dojo et on fait la promesse de faire de son mieux. «Dojo wa shinsei na basho de ari». Cette phrase se traduit par : « le dojo est un lieu sacré. Les règles de politesse que l’on y applique doivent conduire au respect de ce lieu, des autres et de soi. Ainsi, la première forme de respect est la manière dont on s’exprime et une tenue correcte associée au port de vêtements propres.

Les deux calligraphies présentées ci-dessous illustrent le respect.

Il s’agit de « Kei o wasurezu » qui signifie : « ne pas oublier le respect »,

puis de « Soshi », le respect mutuel.

Kei o wasurezu : Ne pas oublier le respect.

Soshi : Le respect mutuel

e. Katsu Jin Ken/ Satsu Jin Ken

Quand le poing est employé sans réflexion, ou sans discipline, sans discernement ; il est destructeur, d’où son nom de « Satsu Jin Ken », « le poing qui prend la vie ». Au contraire, lorsque le combattant est expérimenté et qu’il a travaillé son caractère en parallèle avec sa technique au point de le rendre capable de résoudre calmement les problèmes et ceci sans utiliser la violence cela s’appelle : « le poing du don de la vie, de la vitalité », « Katsu Jin Ken ». Cela se retrouve dans tous les Kata de Karaté qui commencent par une défense. S’y exprime l’esprit de Katsu Jin Ken. De même, l’enseignant qui transmet la sagesse, les vertus humaines fondamentales à ses élèves est dans l’esprit de «Katsu jin ken». A contrario, l’enseignant qui enseigne seulement la technique est dans l’esprit de «Satsu Jin Ken».

En effet, donner l’efficacité sans la sagesse reviendrait à donner des armes à un enfant de 5 ans qui n’aurait pas le discernement suffisant pour les utiliser correctement. Il me semble important de rappeler que, dans le Karaté, comme dans tous les arts martiaux, on laisse toujours « une chance » à l’autre. C’est-à-dire qu’on lui laisse la liberté de quitter le combat. Par cela, on évite de détruire l’harmonie autour de nous. Le poing qui donne la vie, qui aide et fait preuve de compassion, n’est-il pas celui qui ne frappe pas ?

f. Hoho kore dojo / Itchi go itchi é

« Hoho kore dojo » signifie : « Marcher et encore marcher, c’est le dojo ». L’explication en est qu’il faut garder la même attitude dans le dojo et à l’extérieur du dojo. « Itchi go itchi é » se traduit par : « Une fois, une chance ! » Cela signifie qu’il faut toujours donner le meilleur de soi-même.

g. Shu.Ha.Ri

J’ai précédemment parlé de ce principe (cf.I.3.b). Il faut savoir que, outre le budo, tous les arts japonais, dont la calligraphie, utilisent cette méthode de progression. Généralement, les pratiquants de ces arts sont attachés à la tradition et c’est pour cette raison que la première partie, shu, qui signifie « protéger » est la plus importante. Voici la calligraphie de Shu (protéger) Ha (briser, analyser) Ri (séparer). Il faut lire dans le sen vertical, à savoir : Shu Ha Ri

h. Onoré ni katsu

Cette expression se traduit par « Gagner contre soi-même ». Il faut comprendre par là que le véritable ennemi se trouve en nous.

i. Shugyo

Cette expression, « Shugyo », vient de l’époque Tokugawa (1650- 1850). A cette époque, les samourais devaient s’entraîner très dur physiquement et spirituellement. On utilise également cette expression dans la pratique du Zen et dans tous les arts martiaux japonais. On peut expliquer l’attitude des japonais très concentrés et humbles par la compréhension de ce mot «Shugyo». Au Japon, lorsqu’une personne qui pratique un art martial fait preuve de faiblesse, d’égoïsme, d’une mauvaise attitude on dira alors : « Shugyo tarinai » qui signifie il n’a pas été assez sévère envers lui même. D’ailleurs, maître Miyamoto Musashi pensait que l’efficacité venait d’un entraînement physique et spirituel sévère sur soi-même. La pensée de ce Maître me conduit, avant de conclure, à exposer un principe fondamental qui révèle l’unité entre le corps, le cœur et l’esprit. Il s’agit du principe Shin Gi Taï.

j. Shin Gi Taï

Shin, Gi et Tai correspondent à trois éléments unis dans la pratique mais dont les concepts se distinguent.

Shin Le caractère Shin (心), qui peut se lire « kokoro », représente et signifie l’organe cœur. Physiologiquement, cet organe irrigue de sang neuf jusqu’au plus petit élément de notre organisme. Le concept sous-jacent est donc celui du centre, de ce qui se trouve au centre. Centre de l’émotion, du mouvement, de la motivation, de l’intention. Par extension, Shin représente donc la force spirituelle.

Gi Le caractère Gi (技) signifie « main capable d’un travail minutieux’. Ce caractère peut également se lire « waza », que l’on retrouve notamment dans tokui-waza, c’est-à-dire « la technique dont on a la connaissance la plus intime ». Il s’agit donc de la technique, mais dans le sens de la maîtrise de cette dernière par la pratique. Le concept en est l’intériorisation de son habileté technique par le pratiquant.

Tai Le caractère Tai (体) signifie « les os correctement organisés », c’et-à-dire le corps physique. En conceptualisant, c’est le moteur du mouvement, le moyen par lequel s’exprime le shin au travers de gi. Ce degré d’expression, à savoir la capacité de réponse du corps à l’intention et son adaptation à une situation dépend du niveau de pratique. Pour développer et entretenir  » karada no oboe « , la mémoire du corps, il est nécessaire d’envisager, sur de longues années de pratique, la répétition précise des mouvements, des habiletés techniques fondamentales.

CONCLUSION

Le Karate do est, comme la vie, un art des rencontres. Rencontres avec autrui mais surtout rencontre avec soi-même. La capacité que peut avoir le Budoka à faire des violences soudaines peut être tempérée par une approche plus sereine et contemplative en harmonie avec la nature. La pratique d’un art traditionnel « doux » peut permettre cette tempérance. Ainsi, je le rappelle, dans la calligraphie, le kanji Bu de Budo signifie l’arrêt du combat, la paix. C’est la vocation du Shodo de nous enseigner ce cheminement. Car combien de pratiquants connaissent cette subtilité, savent qu’ils pratiquent une voie de la paix, que les années de pratique doivent être faites pour la paix et au service de la société dans la quelle ils vivent. « Bunburyodo » nous propose un soutien, il apporte la sensibilité, la sagesse nécessaire aux guerriers. Enfin, je voudrais ajouter cette phrase : « onko chi shin » dont la traduction est : « Réchauffer l’ancien pour y découvrir le nouveau ». Cela signifie que tout est en nous ou autour de nous. Pour découvrir ce « tout », il suffit d’avoir la patience et la curiosité de chercher. Mais sans chercher très loin, car la vérité se trouve souvent déjà dans ce qui nous a précédé. Il n’est nul besoin de vouloir à tout prix la chercher dans la nouveauté qui, souvent, nous attire. Comme les cils, la vérité est si près de nous que nous ne la voyons pas ou ne la voyons plus. Il s’agit pourtant de la regarder et Bunburyodo nous permettra de poser ce regard.

Patrick Rault : Email : kyudokanfrance@yahoo.fr    tél: 0628807193